Page:Académie française - Recueil des discours, 1860-1869, 1re partie, 1866.djvu/381

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

progrès fatalement réglée d’avance et qui suit sa marche sans le concours des hommes, en dépit de leurs fautes, au besoin même, à l’aide de leurs crimes. Chacun, en un mot, espère que tout le monde agira, sauf lui-même, et pense que tout est à faire excepté la tâche modeste et bornée qui est à la portée de son bras. C’est cette paresse de l’action personnelle si singulièrement en contraste avec la généralité hautaine de nos vues, ce sont ces vœux téméraires et oisifs, ces paroles gonflées de vent et dénuées de nerf contre lesquels s’élèvent, dans un jour de jugement comme celui-ci, les cœurs humbles et fermes dont nous vous apportons le témoignage. Ceux-ci, Messieurs, connaissent peu les lois de l’État, encore moins les lois de l’humanité et de l’histoire ; mais, ne les connaissant pas, ils ne se reposent pas sur elles pour opérer le peu de bien pratique qui est sous leur main. Une seule loi leur est connue, la loi du devoir qui leur montre devant eux un chemin ouvert bien que rude, et leur fait sentir en eux-mêmes la force de prendre leur élan pour le gravir. Et cette loi elle-même ne flotte pas dans leur esprit à travers le nuage d’une idée vague. C’est la loi d’un Dieu vivant, qui leur parle, les soutient et les juge. Ils l’ont entendue retentir au fond de leur âme, et, ceignant bravement leurs reins, ils ont marché à l’ordre de ce maître et sous ce regard paternel.

Voilà les spectacles salutaires qu’il faut contempler si l’on veut apprendre ce que chacun peut et ce que chacun doit, même quand il n’a à compter que sur lui-même. Voilà aussi ceux qu’il faut répéter et multiplier, si l’on veut que tous ces progrès généraux, accomplis ou attendus, orgueil ou espérance de nos sociétés, acquièrent la réalité ou la solidité conforme à l’ambition de leurs promesses. Il est chimérique