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cultés elles-mêmes eussent plus d’éclat que de fermeté, ce fut aussi le moment où sa raison s’affaissa tout d’un coup sous le double fardeau de l’étude et de la douleur. Un état d’aliénation mentale se déclara et le jeune savant dut entrer dans une maison de santé. Marianne Feillet, qui l’avait bercé sur ses genoux, ne voulut pas abandonner son enfant à des mains étrangères. Elle obtint d’entrer comme infirmière dans l’asile où il était recueilli. Elle y a passé deux ans, ne le perdant pas de vue un instant, veillant auprès de son lit, sans fermer l’œil elle-même pendant des mois, parce que le magnétisme de son regard calmait seul les plus douloureuses crises du pauvre insensé.

Sous cette influence bienfaisante un éclair de raison reparut, et Jules Lécuyer, un instant rendu à la vie commune, put reprendre la carrière de l’enseignement dans un lycée de province. Marianne l’y suivit, attentive à préserver du moindre souffle cette faible lueur d’intelligence, qu’elle seule avait pu ranimer et qui menaçait à tout instant de s’éteindre. Hélas ! elle-même ne put réussir à en entretenir la flamme ! Il fallut une seconde fois renoncer à toute occupation, et aller vivre de privations au fond de la Bretagne, avec une petite pension due à la charité des créanciers de la famille. Ce que Marianne ajouta par son travail et ses sacrifices à cette subvention insuffisante. Dieu seul l’a su et nul ne l’apprendra d’elle. Nous savons seulement que tout y a passée et le produit de son fuseau, et l’espoir d’une petite succession qui devait lui revenir et qu’elle a trouvé moyen d’escompter pour une somme de douze cents francs. Marianne avait raison de ne pas ménager l’avenir, car il n’intéressait qu’elle et elle était destinée à vieillir seule.