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de sa pensée. Après cela il ne fit plus que languir. Ouvrier trop sérieux pour ne s’être pas consumé dans la lumière dont il avait été l’organe, il s’avança peu à peu, mais sans y croire, vers une mort qui devait être la troisième récompense de sa vie. La gloire avait été la première ; il avait trouvé la seconde dans un bonheur domestique de vingt-cinq ans ; sa fin prématurée devait lui apporter la dernière et mettre le sceau à la justice de Dieu sur lui. Il avait toujours été sincère avec Dieu comme avec les hommes. Un sens juste, une raison mûrie par la droiture avant de l’être par la réflexion et l’expérience, lui avaient révélé sans peine le Dieu actif, vivant, personnel, qui régit toutes choses, et de cette hauteur si simple, quoique si sublime, il était descendu sans peine encore au Dieu qui respire dans l’Évangile et par qui l’amour est devenu le sauveur du monde. Mais sa foi peut-être tenait de la raison plus que du cœur. Il voyait la vérité du christianisme, il la servait sans honte, il en rattachait l’efficacité au salut même temporel de l’homme ; cependant il n’avait pas atteint cette sphère où la religion ne nous laisse plus rien qui ne prenne sa forme et son ardeur. Ce fut la mort qui lui fit le don de l’amour. Il reçut comme un ancien ami le Dieu qui le visitait, et, touché de sa présence jusqu’à répandre des larmes, libre enfin du monde, il oublia ce qu’il avait été, son nom, ses services, ses regrets et ses désirs, et, avant même qu’il nous eût dit adieu, il ne restait plus en cette âme que les vertus qu’elle avait acquises sur la terre en y passant.

Ces vertus, Messieurs, vous appartenaient. Ornement sacré du talent littéraire le plus haut et le plus vrai, vous jouissiez de leur alliance dans la personne de M. de Tocqueville, et il