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s’être dévouée à sa famille, elle se dévoue depuis trente ans à ceux qui n’en ont point. Ayant acheté, avec le produit de ses épargnes accumulées sou par sou, une petite maison, elle en a fait un hôpital, elle a commencé son installation avec huit caisses en bois qui devaient servir de lits. Ces lits, entourés par elle des soins les plus assidus, sont toujours occupés. Cet hôpital, situé au sein des montagnes les plus élevées et les moins fréquentées de l’Auvergne, sert encore d’asile à ceux qu’on appelle dans ce pays les perdus, c’est-à-dire aux voyageurs égarés au milieu des tourbillons de neige, et que la cloche des villages voisins a avertis en vain de leur danger. C’est ainsi qu’en plein dix-neuvième siècle, la naïve charité d’une humble, Auvergnate a renouvelé la merveille qu’on admire depuis bientôt mille ans au Grand-Saint-Bernard. Ce n’est pas tout : elle y enseigne encore le catéchisme aux orphelins abandonnés, aux enfants vagabonds, qu’elle recueille et qu’elle nourrit du fruit de ses travaux ; quand les incurables qu’elle a recueillis chez elle lui en laissent le loisir, elle va au dehors veiller chez eux les malades du voisinage. C’est l’emploi habituel de ses nuits. Une si héroïque charité ne semble pas étonner les religieux habitants de sa contrée, qui la traitent simplement de brave femme. Cependant les notables du village, appuyés et encouragés par notre confrère M. de Falloux, nous l’ont signalée. On nous apprend qu’elle n’a pour ressource que son carreau de dentellière, qui peut lui rapporter 35 à 40 centimes par jour, plus les secours de quelques âmes charitables qui la prennent pour intermédiaire de leurs aumônes. Vous y ajouterez celle que M. de Montyon vous permet de consacrer à de pareils dévouements, et qui n’aura jamais été mieux placée.