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nous prépare, si elle n’est enfin instruite et réglée, l’épouvantable alternative d’une démagogie sans fond ou d’un despotisme sans frein.

C’est la certitude de cette alternative qui troublait incessamment l’âme patriotique de M. de Tocqueville, qui a présidé à tous ses travaux et lui a mérité la gloire sans tache où il a vécu et où il est mort. Aucun homme de notre temps ne fut à la fois plus sincère, plus logique, plus généreux, plus ferme et plus alarmé. Au fond, ce qu’il aimait par-dessus tout, sa véritable et sa seule idole, hélas ! puis-je le dire ? ce n’était pas l’Amérique, c’était la France et sa liberté. Il aimait la liberté en la regardant en lui-même, au foyer de sa conscience, comme le principe premier de l’être moral et la source d’où jaillit, à l’aide du combat, toute force et toute vertu. Il l’aimait dans l’histoire, présidant aux destinées des plus grands peuples, formant tous les hommes qui ont laissé d’eux dans la mémoire du monde une trace qui l’éclairé et le soutient. Il l’aimait dans le christianisme, aux prises avec la toute-puissance d’un empire dégénéré, inspirant lame des martyrs et sauvant par eux, non plus la vérité des sages, mais la vérité divine elle-même, non plus la dignité du genre huniain, mais la dignité du Christ, fils de Dieu. Il l’aimait dans les souvenirs de la patrie, dans ces longues générations où la liberté avait fait l’honneur, où l’honneur avait fait le premier bien de la vie, et où la vie se donnait pour sauver l’honneur, pour prouver l’amour, pour défendre la foi, pour mourir enfin digne de soi-même et digne de Dieu. Il l’aimait dans son propre sang, où il avait puisé, avec la tradition de ses aieux, la fierté d’une obéissance qui n’avait jamais été vile, et la gloire d’un nom qui avait toujours été pur. Il l’ai-