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violent, chassant vers la Hève, les obligeait à des efforts extraordinaires de résistance et de vigueur. Un d’eux, qui se dirigeait, selon l’usage, vers le radeau qui leur sert de but et de relâche, où venaient d’aborder un très-jeune homme et sa sœur, sentit tout à coup ses forces faiblir sous le poids de la vague, et vit bientôt le radeau fuir devant ses yeux troublés. Impuissant et brisé, l’instinct même de conservation l’abandonna, et déjà (c’est son récit que nous répétons) les pensées suprêmes de la mort apparaissaient rapidement à son esprit, lorsqu’il aperçoit le jeune homme qui vient à lui en nageant. Charles de la Gâtinerie avait vu sa détresse. Il approche, il l’interpelle, n’obtient en réponse que des sons confus, et lui crie qu’il arrive à son secours. Il le joint en effet, il le prend sur ses épaules ; mais le fardeau est pesant, la mer est forte, le jeune sauveur n’a que quinze ans. Seul il se dégagerait peut-être, mais tous deux se saisissent et se lâchent tour à tour ; tous deux sont près de glisser dans l’abîme. Le plus âgé allait disparaître ; tout à coup il sent l’étreinte d’une petite main qui le soulève et le remet un moment à flot. À la vue du péril, Mlle Isabelle de la Gâtinerie s’était jetée intrépidement à la mer. Elle arrive, elle délivre son frère, qui peut nager plus à l’aise, et elle laisse se suspendre à elle celui qui reste à sauver. Elle le soutient en se soutenant elle-même ; mais bientôt la force lui manque : « Mon Dieu ! s’écrie-t-elle, je ne puis plus. » À ce moment, le malheureux croit mourir, et se laisse aller comme un corps inanimé. Mais ses sauveurs ne l’abandonnent pas ; la jeune fille, l’énergique jeune fille le retient, le pousse devant elle, et, par un dernier effort, donne le temps au bateau de sauvetage de venir enfin à leur secours. C’est elle alors