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jeune soldat a pu se racheter et continuer à travailler pour sa mère… C’est à moi qu’Ambroise s’est adressé pour savoir comment il devait s’y prendre pour déposer en temps utile le prix de son exonération, et c’est lorsque je lui ai demandé où il avait pris ces 2,000 francs, lui, pauvre journalier, sans aucune fortune, qu’il m’a raconté tout en larmes l’acte de générosité auquel il devait son salut, et surtout celui de sa mère. Il faut dire que le bienfait ne pouvait tomber sur de plus braves gens, plus religieux dans leur simplicité, plus dignes dans leur indigence… Je vous parle de ceux qui ont reçu le bienfait en même temps que de la bienfaitrice, parce que, je crois que la manière de faire le bien ajoute encore à son mérite, et que la plus haute vertu s’élève encore par le discernement avec lequel elle s’applique. »

C’était, suivant le récit de M. le curé de Beaumont-la-Chartre, au dernier jour du délai légal, lorsque toute une famille attendait avec anxiété l’heure du départ du jeune soldat, que la vieille Marie Chauvin entra sous le toit d’une mère désolée : « Mes amis, dit-elle, je n’ai pu dormir de la nuit. Voilà 2,000 francs pour racheter Ambroise ; je ne sais à présent avec quoi je vivrai, mais au moins je dormirai tranquille. » Cela dit, elle jette la somme sur la table, s’en retourne comme elle est venue, et rentre chez elle sans parler à personne.

L’Académie, en récompensant l’action de Marie Chauvin, y a vu plutôt l’effet d’un bon mouvement que l’exercice de la vertu ; mais elle a été touchée de cet entier oubli de soi-même, de cette abnégation d’une pauvre femme qui donne les économies de toute sa vie sans se réserver un morceau de pain, et elle a voulu qu’un prix de 2, 000 francs,