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de visages humains rassemblés que la première fois où Lacordaire y dut paraître. On accourait avec un mélange de curiosité et d’effroi pour être témoin de la résipicence ou de l’obstination du prêtre démocrate. Promenant ses yeux sur cet auditoire mélangé, l’orateur, dès ses premières paroles, laissa échapper un cri de l’âme qui retentit sous les voûtes, porté par une voix fraîche, vibrante et métallique, « Assemblée, s’écria-t-il, que voulez-vous de moi ? la vérité ?… vous ne l’avez donc pas en vous-même, puisque vous la cherchez ici ? »

Ce que cette assemblée voulait, il le savait mieux qu’elle-même, mieux peut-être qu’il n’eût été possible ou convenable de l’expliquer tout haut dans la chaire. On était en 1835, c’est-à-dire dans un moment de trêve entre les révolutions, le plus semblable peut-être à la paix que la France eût connu depuis 1789. Tout ce qu’elle avait cherché par quarante années de labeur, institutions libres, royauté populaire choisie par elle et justifiant son choix, l’égalité dans la loi comme dans les mœurs, le pouvoir mis au concours et gagné avec éclat par les plus dignes, la conscience délivrée d’entraves ; tous ces biens appartenaient à la société française. Elle en avait la jouissance et pas encore la satiété. À la joie de les posséder se mêlait l’orgueil de les avoir conquis. Et cependant pas plus l’un que l’autre de ces sentiments ne suffisait à la satisfaire. Parvenue au comble de ses vœux, elle s’étonnait de désirer encore, de sentir encore le vide et l’inquiétude, et de trouver dans le bien obtenu quelque chose de précaire et de borné que l’ardeur de la poursuite ne lui avait pas laissé soupçonner. D’une part, même à la prospérité matmelle la sécurité manquait ; de l’autre, de nobles instincts, des aspi-