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Je voudrais suivre votre roman sous la dernière forme qu’il a reçue de vous, le suivre jusqu’au théâtre. J’assisterais à un nouveau succès, plus grand encore, plus populaire. « Mais, pardonnez à ma franchise, que de regrets dans ce triomphe ! Je sens ce qu’il a dû coûter à votre cœur de père, puisque pour moi c’est presque une souffrance de voir votre œuvre ainsi traitée. Malgré moi, je ne pense plus qu’aux beautés qui me sont ravies ; je ne vois plus que les détails exquis, les séduisantes descriptions, les accessoires pittoresques sacrifiés ainsi sans pitié. Autant je vous rends grâce d’avoir soumis à cette même épreuve la plupart de vos scènes dialoguées, celles-là surtout qui, par l’ampleur des caractères et par la marche de l’action, semblaient d’avance conçues pour le théâtre, comme Dalila, par exemple, autant j’ai peine à prendre mon parti d’une transformation qui, en profanant un bon roman, ne nous a pas donné un véritable drame.

Mieux vaut porter les yeux sur une autre œuvre encore dans sa fraîcheur première, sur cette Histoire de Sibylle, dernier fruit de vos veilles, votre enfant de prédilection. Ici point de contestation possible, l’idée première est bien à vous. Qu’on ouvre tous les romans connus, on ne trouvera rien qui ressemble à cette jeune fille, cette Psyché chrétienne, comme égarée dans notre temps, dans la molle atmosphère de nos faibles croyances. La foi des premiers âges est descendue sur elle ; et, telle, est l’abondance des grâces qui l’inondent, qu’incessamment elle est comme entraînée à les déverser sur les autres. De là ces conversions qu’elle opère autour d’elle dès sa première enfance, comme au contact de sa candeur et de sa sainteté.