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et vous aiment, mais qui vous savent à fond, dont vous avez exercé la mémoire, à tel point que, si tout à l’heure je citais un fragment de vos scènes, à l’instant même, j’en réponds, sur plusieurs de ces bancs on serait tenté, malgré soi, de me donner la réplique. En présence de tels juges il faut être sur ses gardes, ne pas enseigner ce qu’ils savent, ne pas dire ce qu’ils ont pratiqué. Je m’abstiens donc de commentaires sur tous ces petits drames, et, quant à les classer par ordre de mérite, quand à dire, par exemple, s’il faut préférer la Crise à la Clef d’or, l’Ermitage au Fruit défendu, le Cheveu blanc à Rédemption ; ou bien encore si c’est à la Partie de dames, au Village, à l’Urne, à Dalila, qu’il convient de donner la palme, en vérité, je n’ose pas. À peine aurais-je fait mon choix, qu’il me paraîtrait injuste. Ces gracieuses fictions, bien que variées d’expression et de forme, sont de même famille ; elles ont un charme presque égal, et la dernière qu’on regarde est toujours celle qu’on croit aimer le plus.

Il faut donc me borner à un coup d’œil d’ensemble : or le caractère dominant de ce théâtre de salon, qui plus tard, comme on sait, a si bien soutenu l’épreuve de la représentation publique, ce qui lui donne l’importance d’une œuvre originale malgré des éléments d’emprunt, ce qui lui a valu sa facile fortune, et la faveur des premiers jours, et les succès persévérants, ce n’est pas seulement cet esprit de convenance et de respect que je signalais tout à l’heure ; c’est encore, j’ose dire, un autre sentiment plus élevé, plus courageux. N’aviez-vous, en effet, passé sur vos peintures qu’un vernis décent et convenu ? Vous étiez-vous contenté d’adoucir, seulement à la surface, de trop vives témérités, d’éviter les mots malsonnants, les situations trop équivoques, et de