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prits, et vous êtes du nombre, pour ceux que préoccupent plus particulièrement les soins délicats de la forme, le travail en commun est un trouble, une gêne : au lieu d’exciter la pensée, de lui donner plus de ressort, il l’engourdit et l’énerve, il en altère l’originalité. Aussi vous deviez bientôt vous fatiguer de cette chaîne, et tenter la fortune à vous seul ; non plus toutefois au théâtre, devant la rampe, à la clarté du lustre ; sur une scène d’un autre genre, moins bruyante et plus sûre, où les finesses du dialogue, les grâces de la diction, se laissent mieux apercevoir, et où l’auteur, tout en s’adressant au public, semble causer en tête à tête avec son spectateur.

Je parle, on le comprend, d’un recueil littéraire où, déjà, quelques années auparavant, un maître, un enchanteur, avait aussi donné, non pas des comédies, encore moins de simples proverbes, mais des fantaisies dramatiques, ou, pour emprunter son langage, « le spectacle dans un fauteuil. » Causeries délicates, capricieuses études, frivolités attachantes, où se mêlait, à force d’art, d’inconciliables qualités, le fini de la miniature et le négligé du croquis. Par malheur, cette charmante veine ne tarda pas à se tarir : Musset n’écrivit plus ! ce fut donc une vraie fortune que de voir apparaître, dans ce même recueil, signés d’un nom d’abord obscur et bientôt en crédit, d’autres essais presque du même genre, portant certain cachet particulier, en même temps qu’une trace légère d’inévitable imitation. La touche était moins ferme, le trait moins assuré, et l’expression, bien que svelte et piquante, ne faisait pas jaillir aussi souvent ces éclairs de pensée, ces notes incomparables où se trahissait le poëte ; mais, en revanche, quel parfum plus salubre, quelle atmos-