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malicieuse bonhomie, publiées par M. de Musset sous un nom d’emprunt, et dont l’irrévérencieux bon sens choquait un peu les anciens admirateurs des Contes d’Espagne.

Aucun des travers du temps n’échappait à cette raison pénétrante, et nul soupçon de pédantisme ne pouvait l’atteindre. Sur les âmes les plus ardentes, le poète assurait au critique une aimable et facile autorité ; mais le critique s’est reposé trop tôt, comme le poète. Il eût fait bonne et piquante justice de certains excès qui cherchent à s’abriter sous l’exemple de ses premiers vers, et de tant d’autres qui n’ont jamais eu l’exempte du talent ni son excuse. Il eût percé à jour de ses fins sarcasmes ce vain luxe de la fantaisie qui cache si mal la pauvreté du sentiment, cette affectation de vérité matérielle née de l’impuissance à saisir la vérité morale. Il n’avait pas dépensé tant de traits contre les utopies et contre le fanatisme politique, sans en réserver à ce fanatisme de l’indifférence, à ces théories égoïstes qui confinent la littérature dans une sorte de thébaïde élégante et sensuelle où nulle question sérieuse ne pénètre. Énervante retraite, pire que l’exil ! On permet aux âmes de se corrompre en tout loisir dans les profondeurs de la société, à la seule condition de n’en pas agiter la surface.

Je sais qu’au milieu des luttes politiques, l’indocile rêveur affecta souvent le dédain. N’était-ce pas comme un rempart nécessaire pour préserver la clairvoyance et la liberté d’esprit ? Cependant, lorsqu’il répondait dans ses alertes couplets aux emphatiques provocations d’un poëte étranger, ne témoignait-il pas d’une âme aussi fière, aussi nationale que la brillante poésie de sa chanson du Rhin allemand ?