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mais à condition de la partager toujours avec ses poëmes. Ne suffirait-elle pas, cette prose souple et piquante, à prouver tous les heureux dons de cet esprit si dégagé sous les parures les plus diverses ? Je devrais ici, avec ces chefs-d’œuvre : On ne badine pas avec l’amour, Barberine, vous nommer tous ses proverbes et comédies. Sans beaucoup de souci de la perspective dramatique, l’auteur, y prodiguant la finesse et les couleurs délicates, laissait l’action flotter librement. La fantaisie, sa muse préférée, ne songe pas à nouer d’un lien fortement tissu les fleurs sans nombre qui naissent sous ses doigts. Mais que de tableaux en eux-mêmes parfaits ! que de vérité et de vie sur ces figures rapidement esquissées ! Dans ces cadres, d’une élasticité si élégante, une scène de franc comique et d’observation profonde, une scène de Molière semée avec art des grâces de Marivaux, va s’illuminer tout à l’heure d’un éclair de Shakspeare.

C’est ainsi que, dans les Contes et Nouvelles, Boccace et la Fontaine, Voltaire et l’abbé Prévost, semblent prêter tour à tour à cette habile intelligence les richesses qui peuvent le moins s’emprunter. Singulier privilège d’un talent si spontané, qui nous oblige à nommer ainsi tant d’origines différentes ! La force active, la flamme de cette imagination transforme et renouvelle tout ce qu’elle a reçu ; et le creuset nous livre une substance merveilleuse, une sorte de métal composite et d’airain de Corinthe, aussi précieux, aussi rare que le plus rare des métaux primitifs.

Cette sensibilité si prompte à réfléchir les objets les plus divers, en les nuançant de ses mobiles couleurs, était capable néanmoins d’un sévère discernement. On peut relire, avec les meilleures pages sur la littérature contemporaine, ces lettres d’un