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courte, j’en ai cherché les traces auprès d’un frère dévoué de cœur et de talent à la mémoire du poëte. Et d’ailleurs quel intérêt biographique ne s’efface devant l’œuvre même d’Alfred de Musset, devant cette poésie, histoire et portrait de toute une génération ?

Otez ce jeune maître, et vous brisez l’anneau le plus brillant et le plus solide entre l’œuvre lyrique de notre temps et la poésie facile du siècle dernier.

C’est là, en effet, ce qui donne à ce talent si varié son attrait le plus original : il est bien l’enfant du siècle, et cependant nulle physionomie n’a conservé plus de traits des époques précédentes. Sous les couleurs empruntées à des soleils étrangers, nul ne porte au front plus nettement écrite sa filiation toute française. Si dans sa poésie, comme dans certains tissus éclatants, quelques fils se distinguent dont l’or a déjà brillé autre part, l’œuvre entière n’en est pas moins neuve ; et ce qui nous charme le plus, nous, contemporains du poëte, c’est de retrouver notre image dans ses tableaux, c’est d’entendre résonner sous sa main les mêmes cordes qui vibrent en nous. Ces notes railleuses, échos de Voltaire, il nous les dit avec notre accent moderne, avec le timbre d’un jeune frère de René, avec le souffle et l’âme d’un rêveur qui a respiré, lui aussi, les brises d un nouveau monde, qui a vécu avec Byron et qui sait par cœur, quoiqu’il ait voulu s’en défendre, les Méditations et les Orientales.

Là est le double secret du succès d’Alfred de Musset auprès de ces générations qu’enflammait la poésie, et de sa popularité dans un temps où celle de la poésie semble décliner. Il eut ce rare et singulier bonheur de conquérir ; à la fois les âmes ardentes qui vivent par l’imagination et ces esprits qui aiment à