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maîtres de la poésie ; et je suis heureux de confondre aujourd’hui dans la même reconnaissance tous ceux qui m’ont fait éprouver les joies de l’admiration.

Entre ces élus de l’intelligence que notre génération saluait avec tant d’amour, le plus jeune et le plus vite arrivé à la gloire, Alfred de Musset, était à peine notre aîné. Quand sur les bancs des écoles nos imaginations s’enivraient de sa première sève, et plus tard, quand nos âmes s’associaient aux larmes salutaires de son âge mûr, aurions-nous pensé jamais que l’un de nous serait appelé à commencer pour lui la postérité, et à parler de ce frère comme d’un ancêtre ?

Moins que tout autre, je devais me croire réservé à lui payer ce douloureux tribut. Par les années, je me trouvais si près de lui, je m’en sentais si loin par la renommée ! Pourquoi faut-il que, malgré cette proximité de l’âge, le charme des souvenirs personnels soit refusé à cet éloge ? Vous le savez, messieurs, j’ai vécu jusqu’ici loin du centre brillant de l’activité littéraire. Au moment où j’y suis fixé par votre adoption, je ne puis oublier la ville où s’achevaient les travaux si modestes que vous récompensez de tant d’honneur. Me permettrez-vous de lui rendre aujourd’hui témoignage, en vous rappelant des noms que vous avez honorés de vos choix et de votre estime : celui d’Ampère, si grand dans la science, et qui se perpétue dans les lettres ; le sage et doux Ballanche, et ce Frédéric Ozanam, enlevé si jeune à tant d’espérances et dont la tombe a reçu de vous une couronne ?

Cette retraite de la province, où se resserre notre intimité avec les livres, nous laisse étrangers à bien des hommes que nous aurions aimés comme leurs écrits. J’eus souvent le désir, jamais le bonheur, d’approcher M. de Musset. Sa vie, hélas ! trop