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discours de réception.

d’injustes dédains. Ses Notions de linguistique, publiées en feuilletons, étaient lues avec avidité par les gens du monde, et ses Catalogues de livres, destinés en apparence à une petite classe d’érudits, ont associé les financiers eux-mêmes aux recherches et aux passions des bibliophiles.

Son goût pour l’originalité l’égara quelquefois. D’illustres savants ont condamné son système sur la formation du langage, qu’il attribue à l’imitation des bruits naturels, réduisant tous les mots à des métaphores empruntées aux onomatopées. Jamais d’ailleurs un vain désir de briller ne lui fit attaquer les opinions reçues. Toujours ce fut avec une conviction, au moins momentanée, qu’il produisit ses théories, et s’il abusa parfois de la souplesse de son talent pour défendre des causes désespérées, c’est que, chez un poëte, l’imagination a sa conscience, qui défie les arguments de la raison.

Partisan déclaré de l’innovation, il s’arrêta devant la langue de Pascal et de Bossuet, et ne cessa de la regarder comme l’arche sainte à laquelle il est défendu de toucher. Dans ses conceptions, il poussa peut-être quelquefois la hardiesse jusqu’à la bizarrerie, mais il régla toujours son style sur les meilleurs modèles. Sa phrase demeura claire, facile, harmonieuse. Smarra, le plus étrange de ses récits fantastiques, semble le rêve d’un Scythe raconté par un poëte de la Grèce.

M. Nodier connaissait trop bien le génie français pour que le style ne fût pas l’objet de ses constantes études. Dès le moyen âge, aussitôt que le parler gaulois devient une langue écrite, on le travaille. À peine les mots existent-ils, et déjà on les discute, on les choisit. Ils reçoivent du goût public une espèce de consécration qui les rend précis, c’est-à-dire durables, et qui donne à notre idiome cette clarté dont il