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discours de réception.

se rappellent encore ses leçons, rendues plus attrayantes par le charme merveilleux de sa conversation, et l’intérêt qu’excitait sa mystérieuse existence.

Au milieu de cette agitation continuelle, dépourvu de livres et de conseils, on s’étonne qu’il ait pu trouver le loisir de composer un de ses ouvrages de linguistique les plus remarquables, le Dictionnaire des Onomatopées. Après Jules César, M. Nodier est, je pense, le seul grammairien qui fût poëte et conspirateur. Il est vrai que ses idées de grammaire se ressentent un peu de l’ardeur de son imagination ; mais les théories, même hasardées, d’un écrivain ingénieux, sont toujours plus utiles à consulter que les froides observations d’un puriste. Le goût le plus correct a d’ailleurs dicté les écrits de M. Nodier sur notre langue. Personne n’en pénétra mieux les secrets, n’en révéla d’une manière plus piquante les finesses et les difficultés.

Cette vie errante, cette continuelle préoccupation de se dérober à des poursuites imaginaires, cette monomanie du malheur, pour me servir d’une de ses expressions, avaient fini par attirer l’attention de l’autorité. Au soin qu’il prenait de se cacher, on devait lui supposer les projets les plus criminels. Une descente de la police eut lieu dans une de ses retraites temporaires. On ne l’y trouva pas ; mais on saisit ses papiers, qu’on porta au préfet du Doubs, M. Jean de Bry, le plénipotentiaire de Rastadt. C’étaient des vers, des chapitres de romans, des observations d’histoire naturelle, puis le Dictionnaire des Onomatopées. Le préfet parcourut avec intérêt ces ébauches, et conclut qu’un homme tout occupé de science et de littérature n’était pas un conspirateur bien redoutable. Il manda les amis de Charles Nodier, et les