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tique et sociale supérieure, puisqu’elle avait abouti au succès. On se croyait d’autant plus moderne que l’on tournait plus résolument le dos au présent, que l’on méprisait davantage libéralisme et parlementarisme, et que l’on adorait avec plus de ferveur l’« organisation » prussienne, sans s’aviser qu’elle n’était qu’une survivance de l’absolutisme monarchique et bureaucratique du XVIIIe siècle, méthodiquement appliqué, pour les employer à son profit, aux tendances de notre époque. Les progrès de l’industrie poussaient dans le même sens. Contre les revendications ouvrières, les capitalistes et les nouveaux riches ne voyaient de salut que dans la Prusse autoritaire et militariste. Et il se faisait que cette diffusion croissante du culte de la force tournait en faveur du Gobinisme. Car Gobineau s’en cachait à peine : sa glorification du Germain n’était qu’une conséquence de sa haine de la démocratie, produit funeste de la mentalité grossière des brachycéphales. Ainsi, l’opposition des doctrines politiques se transformait en une opposition de races. Les idées égalitaires de la France étaient condamnées par raison ethnographique, comme la tare indélébile d’un peuple dégénéré. Le Germain devait se prouver à lui-même, par l’orthodoxie de son conservatisme, la pureté de ses origines. Tout se tenait en une parfaite harmonie. Les intérêts des Hohenzollern, ceux de la caste militaire et ceux de l’aristocratie prussiennes, ceux des Schwerindustriellen et des magnats de la finance conspiraient également en faveur du germanisme, disons mieux, en faveur du pangermanisme.

En effet, la doctrine ne postule pas seulement, à l’intérieur, l’absolutisme de l’État national, elle le pousse encore à revendiquer au dehors l’hégémonie qui lui revient de par la suprématie naturelle de la race. « Nous avons reconnu en nous, écrit von Bernhardi, un facteur aussi puissant que nécessaire du développement de l’humanité entière. La conscience que nous avons prise de ce fait nous impose l’obligation de faire valoir, aussi loin que possible, notre influence intellectuelle et morale,