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conception nouvelle et toute matérielle de la race ? Le livre de Gobineau sur l’Inégalité des races humaines paraît en 1854, et bientôt cet ouvrage d’un Français, dont les Français n’ont jamais pris au sérieux l’érudition de bric-à-brac, la philosophie de dilettante et les affirmations paradoxales, devient la Bible de cette Allemagne si vaine de sa science et de sa critique. C’est qu’elle y trouvait ce qu’elle cherchait : la justification de ses désirs et de ses appétits. Le « Gobinisme » va remplacer les révélations de Fichte et de Hegel. Abandonnant les hauteurs nuageuses de la métaphysique, il se place résolument sur un terrain soi-disant scientifique. Il répartit l’humanité en races intérieures et en races supérieures, en brachycéphales et en dolichocéphales. Le pullulement des premiers menace d’abîmer la civilisation dans un métissage universel. Elle ne peut être sauvée que par la domination des hommes à crâne allongé, c’est-à-dire des Aryens, dont les Germains sont, dans l’Europe moderne, les purs représentants. Rien de plus simple, rien de plus vrai aussi, pour ceux qui jugent de la vérité suivant sa concordance avec leurs désirs.

Richard Wagner fut, auprès de ses compatriotes, l’introducteur du Gobinisme, et l’on peut croire sans malveillance que la rancune du maître contre la France ne fut pas sans influencer son admiration pour ce Français qui « reléguait sa patrie dans le sous-sol de l’humanité et en destinait la population à une décadence irrémédiable[1] ». Mais combien l’Allemagne nouvelle, l’Allemagne de Bismarck, était merveilleusement préparée au nouvel évangile ! Les guerres de 1864, de 1866, de 1870 l’avaient soumise à l’hégémonie prussienne. C’en était fait des aspirations démocratiques des hommes de 48. On se prenait à révérer dans l’officier et dans le junker, double aristocratie qui, au fond, n’en fait qu’une, les porteurs d’une organisation poli-

  1. J. Finot. Le préjugé des races. 1906, p. 17.