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C’eſt pourtant cette imitation & cette ſenſation parfaite qui fait l’eſſentiel de la Peinture, comme je l’ay fait voir. Elle vient du Deſſein & du Coloris ; & ſi Raphaël & les habiles de ſon tems n’ont eu cette derniére partie qu’imparfaitement, l’Idée de l’Eſſence de la Peinture qui vient de l’effet de leurs Ouvrages, doit être imparfaite, auſſi-bien que celle qui s’eſt introduite ſucceſſivement dans l’eſprit de quelques perſonnes, d’ailleurs même trés-éclairées.

Les Ouvrages du Titien & des autres Peintres qui ont mis au jour leurs penſées à la faveur d’une fidéle imitation, devroient ce ſemble avoir détruit les mauvais reſtes dont nous parlons, & avoir redreſſé les Idées ſelon que la Nature & la Raiſon l’éxige d’un eſprit juſte. Mais comme la Jeuneſſe, ainſi que nous l’avons dit, n’apporte de Rome à Veniſe qu’un eſprit & des yeux prévenus, & qu’ils ne font pour l’ordinaire dans cette derniére Ville que peu de ſéjour, ils n’y voyent que comme en paſſant les beaux Ouvrages qui pourroient leur donner une juſte Idée, bien loin d’y contracter une habitude du bon Coloris, qui feroit valoir les Etudes qu’ils auroient faites à Rome, & qui les rendroit irréprochables ſur toutes les parties de leur Profeſſion.