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tion n’eſt pas de l’Eſſence de la Peinture, elle eſt ſeulement une bien-ſéance indiſpenſable, comme la Vertu & la Sience le ſont dans l’Homme. Et de même que l’homme n’en eſt pas moins Homme pour être ignorant & vicieux ; le Peintre n’en eſt pas moins Peintre pour ignorer l’Hiſtoire. Et s’il eſt véritable que les Vertus & les Siences ſont les ornemens des Hommes, il eſt auſſi trés-certain que les Ouvrages des Peintres ſont d’autant plus eſtimables qu’ils font paroître de fidelité dans les ſujets hiſtoriques qu’ils répréſentent ; ſuppoſé d’ailleurs qu’il n’y manque rien de l’imitation de la Nature, qui eſt leur Eſſence.

Ainſi un Peintre peut être fort habile dans ſon Art, & fort ignorant dans l’Hiſtoire. Nous en voyons preſque autant d’éxemples qu’il y a de Tableaux du Titien, de Paul Veronéſe, du Tintoret, des Baſſans, & de pluſieurs autres Vénitiens qui ont mis leur principal ſoin dans l’Eſſence de leur Art ; c’eſt-à-dire dans l’imitation de la Nature, & qui ſe ſont moins appliquez aux choſes acceſſoires qui peuvent être ou n’être point, ſans que l’Eſſence en ſoit altérée. Il ſemble que ce ſoit dans ce ſens que les Curieux regardent les Tableaux des Peintres que je viens de nommer, puiſqu’ils