Page:Abregé de la vie des peintres (Roger de Piles, Muguet, 1699).djvu/50

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la vûë des belles choſes, il y ajoûte ou diminuë ſelon ſon goût & ſelon la portée de ſon jugement : & ce changement ſe fait en comparant les Idées de ce qu’on a vû, & en choiſiſſant ce que l’on en trouve de bon. Raphaël, par exemple, qui dans ſa jeuneſſe n’avoit chez le Pérugin ſon Maître que les Idées des Ouvrages de ce Peintre, les ayant enſuite comparez avec ceux de Michelange & avec l’Antique, a choiſi ce qui luy a ſemblé de meilleur, & s’eſt fait un Goût épuré, tel que nous le voyons dans ſes Ouvrages.

Le Génie ſe ſert donc de la mémoire comme d’un vaſe où il met en réſerve les Idées qui ſe préſentent ; il les choiſit avec l’aide du jugement, & en fait un magaſin dont il ſe ſert dans l’occaſion : il en tire ce qu’il y a mis, & n’en peut tirer autre choſe. C’eſt ainſi que Raphaël a tiré de ſon magaſin, (pour me ſervir de ce mot) les hautes Idées qu’il a priſes de l’Antique, de même qu’Albert & Lucas ont tiré du leur les Idées Gottiques que la pratique de leur tems & la nature de leur païs leur avoient fourni.

Un homme qui a du Génie peut inventer un ſujet en général : mais s’il n’a fait l’étude des objets particuliers, il ſera embaraſſé dans l’execution de ſon