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pensée et existant par la pensée, masse du sentiment, qui, ressentie par nous d’une manière si vive dans les profondeurs cénesthésiques, dans les émotions anonymes, dans les rêveries ne pouvant être déterminées, ne peut néanmoins jamais, dans sa pureté virginale, être accessible à notre analyse intellectuelle, car, aussitôt que nous fixons notre attention sur elle, aussitôt que nous la saisissons dans les pièges de l’aperception active, du même coup elle est déjà soumise à une certaine détermination, à une synthèse de la pensée, elle devient un concept ou notion réservée dans un mot, un élément des propositions, l’esclave du raisonnement. Donc, l’âme humaine se compose comme de deux courants simultanés et s’enchevêtrant continuellement ; l’un, purement intuitif, puisant son contenu de l’inconscient, se développe par un mouvement spontané des associations dans une infinie chaîne de changements sensitifs d’un caractère aveugle, constituant le profond, l’obscur fond de la vie psychique ; l’autre, aperceptif, c’est l’action de notre volonté intérieure, de notre sujet pensant, s’exerçant consciemment et en vue d’une fin sur ces états sentimentaux de la pure intuition, et la transformant en un monde tel qu’il est l’objet de notre connaissance, le monde des choses, des propriétés et des rapports. L’un procède de l’inconsciente « chose en soi », de l’être mystique du milieu ambiant, qui, par des milliers d’excitations, agit sur notre système nerveux ; c’est un courant caché, jamais exprimé, d’une nature émotionnelle et parfaitement intime de la vie psychique. L’autre provient de notre sujet pensant, est la révélation de notre volonté, et présente le côté raisonnant de l’âme, la conscience de soi-même explicite et formellement exprimée dans les jugements et leurs combinaisons à l’aide de la langue articulée. C’est ainsi que se présente le côté psychologique du problème.

Revenons maintenant au rôle social de l’aperception. Socialiser un phénomène psychique, cela veut dire l’objectiver ; socialiser un phénomène physique, c’est le spiritualiser. Or, aucun état psychique ne peut être objectivé sans devenir une notion, sans avoir acquis une certaine dénomination symbolique, ce qui n’advient que lorsqu’il est soumis à l’action aperceptive, à la détermination par notre volonté consciente. Et de même, ceux des phénomènes physiques seuls se spiritualisent, passant dans le domaine de la vie sociale, sur lesquels l’être pensant de l’homme a apposé son sceau du travail final. Les états anonymes du sentiment, précédant la pensée, la nébuleuse intuitive, dont notre pensée retire