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rants, qui paraissent tendre à diviser entre eux cette duplicité des faces du phénomène social, et à légitimer théoriquement un seul de ces deux caractères qui se complètent mutuellement en elle. Nous parlons des méthodes que représentent MM. Durkheim et Tarde. M. Durkheim, contemplant la face objective du phénomène social, son caractère abstrait et collectif, s’imposant d’une manière coercitive aux consciences individuelles comme quelque chose de spontané et d’entièrement indépendant d’elles, s’efforce de bannir toute psychologie du domaine social. M. Tarde, par contre, ne voit que le caractère psychologique du phénomène social, le côté de son individualisation dans les cerveaux humains, et considérant « l’objectivité » sociale de Durkheim comme une « illusion ontologique, traite la sociologie comme une sorte de ramification de la psychologie, tenant totalement dans ses chapitres sur l’invention et l’imitation. Le caractère artificiel de la distinction, ce daltonisme étrange qui ne permet à aucun de ces savants de voir qu’une seule face du phénomène social, conduit très logiquement aux résultats tout à fait contradictoires, aux méthodes qui s’excluent réciproquement, mais dont aucune cependant, d’après nous, n’a de chance de prévaloir sur l’autre, car la nature réelle des faits exige leur complément mutuel, protestant vigoureusement contre cette défiguration qu’on leur impose, contre cette demi-nature psychologique ou objective qui leur est arbitrairement imputée par les savants sociologues français. D’où provient aussi, que les définitions sociologiques de Durkheim et de Tarde, mises en regard les unes des autres, font l’effet comme d’une antinomie philosophique, entre les termes contradictoires de laquelle l’esprit humain doit osciller continuellement, sans aucune solution, forcé logiquement de les admettre tous les deux. Ces deux théories se combattent mutuellement d’une manière acharnée ; et cependant, à travers chacune d’elles se laisse entrevoir une face de la réalité, qui demande instamment à être complétée par l’adversaire ; c’est un malentendu entre les deux côtés d’une médaille, dont chacune prétendrait à constituer le tout. Si donc M. Durkheim affirme que le phénomène social se reconnaît d’après ce qu’il existe indépendamment de ses expressions individuelles, et qu’il possède un pouvoir de coercition extérieur qu’il exerce sur les individus ; s’il soutient que chaque fait social n’existe que dans un groupe pris collectivement et ne peut jamais être identifié avec les formes sous lesquelles il se réfracte dans les cerveaux individuels, il a pleinement raison, il est d’accord avec l’intuition de la vie