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formes, dans lesquelles nous apparaît le monde entier de la vie, et ses catégories essentielles, le temps, l’espace et la causalité, auxquelles est soumis tout ce qui est, constituant un ensemble compact et logique, appartiennent exclusivement au côté positif du phénomène, au phénomène comme objet de la pensée, et sont tout à fait étrangères à son autre côté — le côté négatif. Lui, comme conditionnant l’objet, doit être une négation complète de tous ses attributs. — C’est cette face négative des phénomènes qui est le sujet pensant, lequel s’oppose aux phénomènes mêmes, aux choses et aux états psychiques, à l’objet en général ; ou bien, s’exprimant d’une façon plus simple, constitue ce que chacun perçoit comme son « moi » propre, étant pour chacun la réalité la plus sûre et la mieux connue[1].

L’intuition propre s’accorde de la manière la plus complète avec le caractère négatif du sujet. — Notre « moi » n’est basé sur rien, n’a aucune raison d’être, aucun critérium de certitude, constitue pour soi-même une raison suffisante, son unique principe légitime. Pour tout nous exigeons un certain critère logique, une certaine règle nous préservant des erreurs ; tout peut être douteux et illusoire, en raison des milliers de différentes fautes et déviations qui se blottissent sans cesse dans notre pensée et dans nos sens, en faussant la justesse de la connaissance ; notre « moi » seul est élevé pour nous au-dessus de tout doute, est un axiome qui dédaigne les preuves, de sorte que la question du critère — « comment je sais que c’est bien moi ? » — nous apparaît tout à fait superflue et dénuée de sens. — Notre « moi » est complètement inconnaissable, nous ne pouvons le développer dans aucune définition, découvrir en lui aucun attribut, en rien dire, si ce n’est que c’est moi ; et pourtant, il n’y a rien de plus clair pour nous que notre « moi », rien de plus immédiat et libre de toute faute, rien de plus réel. Il est inaccessible à la définition, parce qu’il n’y a rien de plus certain que lui, et que rien donc ne peut servir pour le définir. — Il s’oppose à tous les phénomènes : je ne suis,

  1. « On peut, dit Schopenhauer, faire abstraction de toute connaissance spéciale et arriver ainsi à la proposition : « je connais », qui est la dernière abstraction dont nous soyons capables ; mais cette proposition est identique avec celle-ci : « il existe des objets pour moi », et cette dernière est identique avec cette autre : « je suis sujet », laquelle ne renferme autre chose que le simple moi ». (Quadruple racine, etc., p. 217.)