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du peuple des campagnes, fuyant l’oppression des seigneurs. Par suite, les terres communales des villes (allmends), partagées entre les nouveaux venus, diminuent de plus en plus à mesure que la ville grandit et se développe. Sans les allmends (communaux) la production agricole devient impossible, et la population des villes y renonce enfin tout-à-fait, se consacrant exclusivement à l’industrie et au commerce, ce à quoi elle est aussi poussée par l’élargissement de l’échange. Le premier coup est donc porté à l’économie naturelle, la division sociale du travail se fait entre la campagne et la ville. La seconde arme que le féodalisme a fourbie dans son propre sein contre lui-même, c’est son âme chevaleresque et religieuse, qui, alimentée continuellement par tout le milieu vital, se manifeste à la fin du XIe siècle par le mouvement collectif des croisades. Les troupes de chevaliers sortant de leurs châteaux pour aller délivrer le tombeau du Christ, ne se doutaient pas un instant qu’elles allaient rapporter à leur retour des germes de mort et de ruine ; que, s’en allant défendre la foi, armés de la puissance féodale, elles rapporteraient la décadence du féodalisme et de la foi. C’est ce qui arriva, cependant. Sur les traces des croisés partirent, comme leurs mauvais esprits, — des caravanes de marchands. Ce mouvement, qui, du côté idéologique, était l’expression du fanatisme chevaleresque, de l’imagination superstitieuse développée par l’individualisme de la vie, était en même temps la rupture des barrières qui gardaient la culture domestique des pays féodaux. Il eut comme conséquence non seulement un grand développement du commerce, grâce à la connaissance faite de nouvelles routes et de pays nouveaux, et l’établissement de rapports commerciaux avec les villes de l’Orient, mais aussi l’acquisition de nouveaux goûts et besoins de la vie, la connaissance d’un certain nombre de nouveaux produits, en un mot, le développement et la transformation de la manière de vivre. Par l’intermédiaire des croisés la population apprend l’usage de la canne à sucre, du riz, du coton, des tissus de soie d’Antioche et de Tyr, du velours et de la mousseline, des tapis de Perse, et d’une quantité d’autres objets, dont chacun, inerte en apparence, possède néanmoins son élément psychique comme objet d’utilité, et lentement, imperceptiblement, se glisse dans l’âme de l’homme féodal comme une révélation d’un monde inconnu, de mœurs et de désirs nouveaux. Le mouvement commercial entre les villes européennes et l’Orient acquiert une importance sociale, et au bord de la Méditerranée se forment plusieurs foyers de l’échange universel ; simultanément aussi se perfectionnent les moyens de communication terrestre et maritime, s’or-