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naissance du capital du sein du monde féodal, marquée par le sang dans l’histoire humaine. — Les chroniqueurs énumèrent une longue série d’années pendant cette époque où des signes mystérieux et effrayants se montrent au ciel, visibles dans des pays et dans des villes entières ; si ce n’était pas là une prophétie apocalyptique qui descendait sur la terre, ces signes remontaient en tout cas de la terre pour se projeter sur le ciel, étaient une manifestation collective de la décomposition, des luttes et des troubles idéologiques qui bouillonnaient dans les cerveaux humains et tiraillaient les cœurs ; ils étaient comme un présage symbolique que quelque chose de nouveau, quelque chose d’inconnu jusqu’alors et d’innommable, monstre ou sauveur, allait apparaître sur le monde humain, — comme le vrai signe de cette cabale psychique que l’histoire, cette tireuse de cartes, compose dans le fond de l’âme humaine. — Le malheur du féodalisme était dans son idéologie. La chevalerie et l’Église constituaient le seul lien social pour l’agglomération des organismes productifs homogènes et isolés. En puisant d’eux leur force morale et économique, la chevalerie et l’Église étaient, en même temps, grâce à leur caractère social, les pionniers des perfides voies de l’échange commercial ; unissant les conceptions des divers coins du monde féodal, elles reliaient en même temps leurs cultures. Sous leur protection se développent les villes ; autour des églises et des châteaux forts se forment les germes des marchés, qui se réduisent primitivement aux modestes dimensions d’un commerce de caravanes transportant des marchandises rares et de luxe. Cependant, l’action des villes, comme uniques foyers d’une vie collective, comme points de contact entre les villages féodaux économiquement clos et individualisés, devient de plus en plus révolutionnaire, à mesure que se développe ce contact qui fortifie l’élément social et donne naissance en même temps aux germes d’une culture nouvelle. Bercées et grandies à l’ombre des cathédrales gothiques et des châteaux féodaux, les villes entrent néanmoins, ou plutôt par cela même, en antagonisme politique avec ceux-ci. C’est le premier choc entre le nouvel esprit social et l’individualisme féodal : c’est la lutte durant de longues années pour les chartes communales. La conquête des chartes donne une nouvelle impulsion au développement ; le remplacement de l’ancien code communal par une nouvelle législation des corps de métiers, adaptée aux intérêts du marché, contribue au développement de l’échange et à l’élargissement des rapports commerciaux ; la liberté politique et la démocratie des artisans (après le renversement de l’hégémonie du patriciat urbain) attirent vers les villes une grande partie