plaisir, et nous commençons à prendre du bon temps le jour où nous n’en pouvons plus ; le Marseillais n’attend pas pour mordre à la pomme que ses dernières dents soient tombées.
Il a l’esprit ouvert, comme l’horizon qui l’environne ; il a voyagé, ou il voyagera ; la Méditerranée est un faubourg de Marseille qu’il visitera tôt ou tard. Il pense que le Sénégal n’est pas bien loin, et que Paris est à sa porte. Si les affaires le retiennent à son comptoir, il peut voir le monde sans sortir de chez lui : est-ce que l’univers entier ne défile pas sur la Canebière ? Il a vu des échantillons de tous les pays ; il sait un peu de tout sans avoir mis le nez dans les livres ; il est en état de raisonner sur toutes les questions, quoiqu’il se donne rarement la peine d’en approfondir une ; la facilité de sa conception, l’ouverture de son esprit, sa promptitude à parcourir la superficie des choses en font un causeur agréable, et il trouve toujours le temps de causer.
Presque tous les Marseillais ont la même dose d’esprit naturel et le même degré d’instruction : peu de savoir et beaucoup d’idées. La ville de France où l’égalité des hommes ressemble le moins à une chimère, c’est Marseille. Pas plus de castes que sur la main : il ne saurait y avoir de vieille noblesse dans une population toute neuve. Les principaux habitants sont des parvenus, dans le sens le plus honorable du mot ; les autres ont l’espoir de parvenir en travaillant. Il n’y a donc que deux catégories de Marseillais : ceux qui ont fait leur fortune, et ceux qui cherchent à la faire. La première classe est moins nombreuse qu’on ne le suppose généralement, et je vous en ai expliqué la cause ; c’est que la fureur de