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LES JUMEAUX DE L’HÔTEL CORNEILLE.

la crinière d’un lion. Le pauvre Mathieu n’était pas roux, mais il l’avait échappé belle : sa barbe et ses cheveux offraient un échantillon de toutes les couleurs. Ce qui plaisait en lui, c’était une paire de petits yeux gris, pleins de finesse, de naïveté, de douceur, et de tout ce qu’il y a de meilleur au monde. La beauté, bannie de toute sa personne, s’était réfugiée dans ce coin-là. Lorsque les deux frères venaient aux examens, Léonce faisait siffler une petite canne à pomme d’argent qui excita bien des jalousies ; Mathieu traînait philosophiquement sous son bras un gros vieux parapluie rouge qui lui concilia la bienveillance des examinateurs. Cependant il fut refusé, comme son frère : le collège de Vannes ne leur avait point appris assez de grec. On regretta Mathieu à l’école : il avait la vocation, le désir de s’instruire, la rage d’enseigner ; il était né professeur. Quant à Léonce, nous pensions unanimement que ce serait grand dommage si un garçon si bien bâti se renfermait comme nous dans le cloître universitaire. Sa prise de robe nous aurait contristés comme une prise d’habit.

Les deux frères n’étaient pas sans ressources. Nous trouvions même qu’ils étaient riches, lorsque nous comparions leur fortune à la nôtre : ils avaient l’oncle Yvon. L’oncle Yvon, ancien capitaine au cabotage, puis armateur pour la pêche aux sardines, possédait plusieurs bateaux, une multitude de filets, quelques