LA MÈRE DE LA MARQUISE.\t405 verser sa hotte pleine. Un peu plus loin, deux bambins de six ans surveillaient d’un œil affamé le repas des vendangeurs. Une énorme soupe aux choux lançait en bouillonnant ses vapeurs succulentes ; les pommes de terre cuisaient sous la cendre, et le lait caillé atten¬ dait son tour dans les jarres de grès bleu. Le regard des deux enfants disait avec une certaine éloquence : « Oh ! des pommes de terre bien chaudes, avec du lait caillé bien froid! » Les vendangeuses en jupon court chantaient du haut de leur tète une poésie champêtre. Cette bruyante gaieté profite au maître de la vigne : bouche qui mord à la chanson ne mord pas à la grappe. Tandis que Gaston et Robert gravissaient la colline et passaient en revue un front de bataille hérissé d’é- chai as, une étrange discussion s’élevait entre es deux amies, auprès de la cuisine des vendangeurs : a Es-tu
folle? disait Mme Jordy ; cette soupe doit être détestable. — Rien qu’une assiettée ! répondait la marquise. — Mais tu viens de déjeuner ! — J’ai faim de cette soupe-là. — Si tu as faim, retournons à la voiture. — Non ; c’est de la soupe qu’il me faut ; demandes- en pour moi, ou j’en volerai. J’en meurs d’envie! — Des larmes ! Oh ! ceci devient grave. Je croyais que les envies n’étaient permises qu’à moi. Mais, au fait, qui sait? Mangez, madame; mangez. >» La mignonne marquise dévora la portion d’un bat-