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gagnais pas beaucoup : aboiements ou hurlements, cris de fureur ou cris d’angoisse, allaient toujours au même but, c’est-à-dire aux oreilles d’Hadgi-Stavros. Bientôt l’animal se tordit dans des convulsions horribles ; il écuma ; il fut pris de nausées, il fit des efforts violents pour chasser le poison qui le dévorait. C’était un spectacle bien doux pour moi et je goûtais savoureusement le plaisir des dieux ; mais la mort de l’ennemi pouvait seule me sauver, et la mort se faisait tirer l’oreille. J’espérais que, vaincu par la douleur, il finirait par me livrer passage ; mais il s’acharnait contre moi, il me montrait sa gueule baveuse et sanguinolente, comme pour me reprocher mes présents et me dire qu’il ne mourrait pas sans vengeance. Je lui lançai mon mouchoir de poche : il le déchira aussi vigoureusement que mon chapeau. Le ciel commençait à s’éclaircir, et je pressentais bien que j’avais commis un meurtre inutile. Une heure encore, et les brigands seraient sur mes bras. Je levais la tête vers cette chambre maudite que j’avais quittée sans esprit de retour, et où la puissance d’un chien allait me faire rentrer. Une cataracte formidable me renversa la face contre terre.

Des mottes de gazon, des cailloux, des fragments de rocher roulèrent autour de moi avec un torrent d’eau glaciale. La digue était rompue, et le lac tout entier se vidait sur ma tête. Un tremblement me saisit : chaque flot en passant emportait quelques degrés de ma chaleur animale, et mon sang devenait aussi froid que le sang d’un poisson. Je jette les yeux sur le chien : il était toujours au pied de mon rocher, luttant contre la mort, contre le courant, contre tout, la gueule