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dans ses prières. Je profitai de ces bonnes dispositions pour lui ingérer une énorme tasse de rhaki. J’aurais pu lui offrir de la poix enflammée : il était trop mon ami pour rien refuser de moi. Bientôt il perdit la voix ; sa tête pencha de droite à gauche et de gauche à droite avec la régularité d’un balancier ; il me tendit la main, rencontra un restant de rôti, le serra cordialement, se laissa tomber à la renverse, et s’endormit du sommeil des sphinx d’Égypte, que le canon français n’a pas éveillés.

Je n’avais pas un instant à perdre : les minutes étaient d’or. Je pris son pistolet, que je lançai dans le ravin. Je saisis son poignard, et j’allais l’expédier dans la même direction, lorsque je réfléchis qu’il pouvait me servir à tailler des mottes de gazon. Ma grosse montre marquait onze heures. J’éteignis les deux foyers de bois résineux qui éclairaient notre table : la lumière pouvait attirer l’attention du Roi. Il faisait beau. Pas plus de lune que sur la main, mais des étoiles en profusion : c’était bien la nuit qu’il me fallait. Le gazon, découpé par longues bandes, s’enlevait comme une pièce de drap. Mes matériaux furent prêts au bout d’une heure. Comme je les portais à la source, je donnai du pied contre Vasile. Il se souleva pesamment et me demanda, par habitude, si j’avais besoin de quelque chose. Je laissai choir mon fardeau, je m’assis auprès de l’ivrogne, et je le priai de boire encore un coup à ma santé. « Oui, dit-il ; j’ai soif. » Je lui remplis pour la dernière fois la coupe de cuivre. Il en but moitié, répandit le reste sur son menton et sur son cou, essaya de se lever, retomba sur la face, étendit les bras en avant et ne bougea plus. Je courus à