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traître me paralysait. Si je l’avais tué dans un pareil moment, je n’aurais pas pu soutenir son dernier regard. Mieux valait faire mon coup pendant la nuit. Par malheur, au lieu de cacher ses armes, il les déposait ostensiblement entre son lit et le mien.

Je finis par trouver un moyen de fuir sans l’éveiller et sans l’égorger. Cette idée me vint le dimanche 11 mai, à six heures. J’avais remarqué, le jour de l’Ascension, que Vasile aimait à boire et qu’il portait mal le vin. Je l’invitai à dîner avec moi. Ce témoignage d’amitié lui monta la tête : le vin d’Égine fit le reste. Hadgi-Stavros, qui ne m’avait pas honoré d’une visite depuis que je n’avais plus son estime, se conduisit encore en hôte généreux. Ma table était mieux servie que la sienne. J’aurais pu boire une outre de vin et un tonneau de rhaki. Vasile, admis à prendre sa part de ces magnificences, commença le repas avec une humilité touchante. Il se tenait à trois pieds de la table, comme un paysan invité chez son seigneur. Peu à peu le vin rapprocha les distances. À huit heures du soir, mon gardien m’expliquait son caractère. À neuf heures, il me racontait, en balbutiant, les aventures de sa jeunesse, et une série d’exploits qui auraient fait dresser les cheveux d’un juge d’instruction. À dix heures, il tomba dans la philanthropie : ce cœur d’acier trempé fondait dans le rhaki, comme la perle de Cléopâtre dans le vinaigre. Il me jura qu’il s’était fait brigand par amour de l’humanité ; qu’il voulait faire sa fortune en dix ans, fonder un hôpital avec ses économies, et se retirer ensuite dans un couvent du mont Athos. Il promit de ne pas m’oublier