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m’échapper ; mais son amitié, plus vigilante que la haine, ne me perdait pas de vue un seul instant. Lorsque je me penchais sur la cascade pour graver dans ma mémoire les accidents du terrain, Vasile m’arrachait à ma contemplation avec une sollicitude maternelle. « Prends garde ! disait-il en me tirant par les pieds ; si tu tombais, par malheur, je me le reprocherais toute ma vie. » Lorsque, la nuit, j’essayais de me lever à la dérobée, il sautait hors de son lit en demandant si j’avais besoin de quelque chose. Jamais on n’avait vu un coquin plus éveillé. Il tournait autour de moi comme un écureuil en cage.

Ce qui me désespérait par-dessus tout, c’était sa confiance en moi. Je témoignai un jour le désir d’examiner ses armes. Il me mit son poignard dans la main. C’était un poignard russe, en acier damasquiné, de la fabrique de Toula. Je tirai la lame du fourreau, j’essayai la pointe sur mon doigt, je la dirigeai sur sa poitrine en choisissant la place, entre la quatrième et la cinquième côte. Il me dit en souriant : « N’appuie pas, tu me tuerais. » Certes, monsieur, en appuyant un peu je lui aurais fait justice, mais quelque chose me retint le bras. Il est regrettable que les honnêtes gens aient tant de peine à tuer les assassins, qui en ont si peu à tuer les honnêtes gens. Je remis le poignard au fourreau. Vasile me tendit son pistolet, mais je refusai de le prendre, et je lui dis que ma curiosité était satisfaite. Il arma le chien, me fit voir l’amorce, appuya le canon sur sa tête, et me dit : Voilà ! tu n’aurais plus de gardien. »

Plus de gardien ! Et ! parbleu ! c’est ce que je voulais. Mais l’occasion était trop belle, et le