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Je ne crains ni les ministres, ni l’armée, ni les tribunaux. Les ministres savent tous que d’un geste je puis changer le Cabinet. L’armée est pour moi : c’est elle qui me fournit des recrues lorsque j’en ai besoin. Je lui emprunte des soldats, je lui rends des officiers. Quant à messieurs les juges, ils connaissent mes sentiments pour eux. Je ne les estime pas, mais je les plains. Pauvres et mal payés, on ne saurait leur demander d’être honnêtes. J’en nourris quelques-uns, j’en habille quelques autres ; j’en ai pendu fort peu dans ma vie je suis donc le bienfaiteur de la magistrature. »

Il me désigna, par un geste magnifique, le ciel, la mer et le pays : « Tout cela, dit-il, est à moi. Tout ce qui respire dans le royaume m’est soumis par la peur, l’amitié ou l’admiration. J’ai fait pleurer bien des yeux, et pourtant il n’est pas une mère qui ne voulût avoir un fils comme Hadgi-Stavros. Un jour viendra que les docteurs comme vous écriront mon histoire, et que les îles de l’Archipel se disputeront l’honneur de m’avoir vu naître. Mon portrait sera dans les cabanes avec les images sacrées qu’on achète au mont Athos. En ce temps-là, les petits-enfants de ma fille, fussent-ils princes souverains, parleront avec orgueil de leur ancêtre, le Roi des montagnes ! »

Peut-être allez-vous rire de ma simplicité germanique ; mais un si étrange discours me remua profondément. J’admirais malgré moi cette grandeur dans le crime. Je n’avais pas encore eu l’occasion de rencontrer un coquin majestueux. Ce diable d’homme, qui devait me couper le cou à la fin du mois, m’inspirait quasiment du respect. Sa grande figure de marbre, sereine au milieu de l’orgie, m’apparaissait comme le masque inflexible