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LE FELLAH

pensionnat des veaux et des génisses était à part, au fond de l’étable. Le régisseur nous fit admirer une jeune bête de trois mois, son plus bel élève : « Voyez, dit-il, comme elle est près de terre, longue de corps, épaisse de partout, bien roulée ! Je la recommande à l’attention de M. Ahmed, qui s’y connaît. »

Il donna son avis modestement, sans se faire valoir, mais avec autant de justesse et de précision qu’un éleveur émérite… J’en conclus qu’il était en Europe pour apprendre l’agriculture et qu’il avait sans doute passé par Grignon ; mais une réflexion qu’il fit sur le régulateur de la machine me fit croire qu’il avait traversé l’École centrale. Toutefois un garçon de la ferme l’ayant tiré à part pour lui montrer son enfant malade, je me dis que décidément il n’était pas étranger à la médecine, et la curiosité que ce jeune Africain m’avait tout d’abord inspirée alla toujours croissant jusqu’à l’heure du dîner.

Vous avez vu que la réunion était nombreuse ; j’ajoute qu’elle était assez brillante. La maîtresse du logis, jeune et belle personne, avait plusieurs amies de son âge qui ne déparaient point le salon. Toutes ces jolies femmes, sans aspirer au rôle de Diane chasseresse, prenaient un vif intérêt à la chasse, heureuses de quitter Paris en plein hiver, de respirer l’air glacial, de rougir leurs jolis visages, et surtout de faire un brin d’école buissonnière en compagnie des chers maris. Lorsque le temps le permettait, elles venaient en robe retroussée et en brodequins à talons déjeuner sur le pouce au carrefour du Vieux-Hêtre ; mais régulièrement, au retour, on les trouvait décolletées, épanouies, un peu mutines, autour d’un grand feu bien flambant.