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LE FELLAH

moi, qu’à endosser sa pelisse et à reprendre son fusil, je le vis s’orienter soigneusement à l’aide d’une boussole de poche, étaler sa fourrure sur le sol, et commencer une gymnastique grave, austère, solennelle, qui ne manquait pas de beauté. Il élevait les bras au ciel, les étendait horizontalement, les croisait sur sa poitrine ; tantôt debout, tantôt agenouillé, tantôt prosterné pour baiser la terre, et tout cela de l’air d’un homme qui remplit son devoir à la face du ciel, sans souci du qu’en-dira-t-on.

Sa prière m’expliqua ses ablutions ; ce n’était pas la première fois que je voyais un musulman dans les pratiques du culte, mais qui diable peut s’attendre à rencontrer l’islam sous les chênes de Brunoy ?

Tous les tireurs étaient en place et l’enceinte fermée, j’avais échangé un salut avec mon deuxième voisin, les chiens avaient lancé, la chasse venait sur nous, et ce petit scélérat de croyant s’obstinait à prier comme un sourd. Deux ou trois coups de fusil partirent sur notre gauche, plusieurs voix nous crièrent : « À vous, chevreuil ! » Le musulman était toujours à son affaire. Lorsqu’il eut bien fini, il reprit sa pelisse, regagna notre allée, ramassa son fusil, aperçut les chevreuils qui couraient droit sur nous, tua le broquart, respecta la chèvre, et changea sa cartouche sans souffler mot.

La chèvre avait forcé l’enceinte, le garde se chamaillait avec les chiens sur le corps de la victime, les chasseurs se rassemblaient ; je m’approchai du jeune homme et je lui dis : « Mes compliments, monsieur, moins encore pour ce beau coup de fusil que pour les choses qui l’ont précédé. »