Page:About - L’Homme à l’oreille cassée.djvu/51

Cette page a été validée par deux contributeurs.

garde, il se bat, il sent presque aussitôt l’épée du colonel entrer dans son cœur jusqu’à la garde. Le froid de la lame s’étend, s’étend encore et finit par glacer Léon de la tête aux pieds. Le colonel s’approche et dit en souriant : « Le ressort est cassé ; la petite bête est morte. » Il dépose le corps dans la boîte de noyer, qui est trop courte et trop étroite. Serré de tous côtés, Léon lutte, se démène et s’éveille enfin, moulu de fatigue et à demi étouffé dans la ruelle du lit.

Comme il sauta vivement dans ses pantoufles ! Avec quel empressement il ouvrit les fenêtres et poussa les volets ! « Il fit la lumière et il vit que cela était bon, » comme dit l’autre. Brroum ! Il secoua les souvenirs de son rêve comme un chien mouillé secoue les gouttes d’eau. Le fameux chronomètre de Londres lui apprit qu’il était neuf heures ; une tasse de chocolat servie par Gothon ne contribua pas médiocrement à débrouiller ses idées. En procédant à sa toilette dans un cabinet bien clair, bien riant, bien commode, il se réconcilia avec la vie réelle. « Tout bien pesé, se disait-il en peignant sa barbe blonde, il ne m’est rien arrivé que d’heureux. Me voici dans ma patrie, dans ma famille et dans une jolie maison qui est à nous. Mon père et ma mère sont bien portants, moi-même je jouis de la santé la plus florissante. Notre fortune est modeste, mais nos goûts le sont aussi et nous ne man-