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veille au soir, devant la porte de Clémentine. Le cuirassier murmura ces mots : « La race des colonels a bien dégénéré depuis 1813 ! » Il poussa un profond soupir, et la nef de la chapelle, qui était un vaisseau de ligne, fut entraînée sur les eaux avec une vitesse de quatorze nœuds. Léon prit tranquillement le petit anneau d’or et s’apprêta à le passer au doigt de Clémentine, mais il s’aperçut que la main de sa fiancée était sèche ; les ongles seuls avaient conservé leur fraîcheur naturelle. Il eut peur et s’enfuit à travers l’église, qu’il trouva pleine de colonels de tout âge et toute arme. La foule était si compacte qu’il lui fallut des efforts inouïs pour la percer. Il s’échappe enfin, mais il entend derrière lui le pas précipité d’un homme qui veut l’atteindre. Il redouble de vitesse, il se jette à quatre pattes, il galope, il hennit, les arbres de la route semblent fuir derrière lui, il ne touche plus le sol. Mais l’ennemi s’approche aussi rapide que le vent ; on entend le bruit de ses pas ; ses éperons résonnent ; il a rejoint Léon, il le saisit par la crinière et s’élance d’un bond sur sa croupe en labourant ses flancs de l’éperon. Léon se cabre ; le cavalier se penche à son oreille et lui dit en le caressant de la cravache : « Je ne suis pas lourd à porter ; trente livres de colonel ! » Le malheureux fiancé de Mlle Clémentine fait un effort violent, il se jette de côté ; le colonel tombe et tire l’épée. Léon n’hésite pas ; il se met en