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mentine. La jeune créole le câlinait avec une grâce irrésistible.

« Mon bon grand-père par-ci, mon joli petit grand-père par-là ; mon vieux baby de grand-père, nous vous remettrons au collége si vous n’êtes pas raisonnable ! »

Elle s’asseyait familièrement sur les genoux de Fougas et lui donnait de petites tapes d’amitié, sur les joues. Le colonel faisait la grosse voix, puis son cœur se fondait de tendresse, et il se mettait à pleurer comme un enfant.

Ces familiarités n’ajoutaient rien au bonheur de Léon Renault ; je crois même qu’elles tempéraient un peu sa joie. Assurément il ne doutait ni de l’amour de sa fiancée ni de la loyauté de Fougas. Il était forcé de convenir qu’entre un grand-père et sa petite-fille, l’intimité est de droit naturel, et ne peut offenser personne. Mais la situation était si nouvelle et si peu ordinaire qu’il lui fallut un peu de temps pour classer ses sentiments et oublier ses chagrins. Ce grand-père, qu’il avait payé cinq cents francs, à qui il avait cassé l’oreille, pour qui il avait acheté un terrain au cimetière de Fontainebleau ; cet ancêtre plus jeune que lui, qu’il avait vu ivre, qu’il avait trouvé plaisant, puis dangereux, puis insupportable ; ce chef vénérable de la famille qui avait commencé par demander la main de Clémentine et fini par jeter dans les héliotropes son futur petit-fils