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minée ; je ressemble à ces automates qui se meuvent sans savoir pourquoi. Oui, je sens en moi comme un ressort plus puissant que ma liberté, et c’est la volonté d’autrui qui me mène !

— Si du moins j’étais sûr que vous serez heureuse ! Mais non ! Cet homme à qui vous m’immolez ne sentira jamais le prix d’une âme aussi délicate que la vôtre ! C’est un brutal, un soudard, un ivrogne…

— Je vous en prie, Léon ! Souvenez-vous qu’il a droit à tout mon respect !

— Du respect, à lui ! Et pourquoi ? Je vous demande, au nom du ciel, ce que vous voyez de respectable dans la personne du sieur Fougas ? Son âge ? Il est plus jeune que moi. Ses talents ? Il ne les a montrés qu’à table. Son éducation ? Elle est jolie ! Ses vertus ? Je sais ce qu’il faut penser de sa délicatesse et de sa reconnaissance !

— Je le respecte, Léon, depuis que je l’ai vu dans son cercueil. C’est un sentiment plus fort que tout ; je ne l’explique pas, je le subis.

— Eh bien ! respectez-le tant que vous voudrez ! Cédez à la superstition qui vous entraîne. Voyez en lui un être miraculeux, sacré, échappé aux griffes de la mort pour accomplir quelque chose de grand sur la terre ! Mais cela même, ô ma chère Clémentine, est une barrière entre vous et lui. Si Fougas est en dehors des conditions de l’humanité, si c’est