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celle, les petits yeux du bouillon se figeaient au grand air et semblaient rire silencieusement. Qu’il est dur pour un gros millionnaire d’amuser les gens qui n’ont pas le sou ! Il ne descendit plus jusqu’à Dantzig, il ne mit pas le nez à la portière, il s’entretint seul à seul avec sa pipe de porcelaine, où Léda caressait un cygne, et ne riait point.

Triste, triste voyage ! On arriva pourtant. Il était huit heures du soir ; le vieux domestique attendait avec des crochets pour emporter la malle du maître. Plus de figures redoutables, plus de rires moqueurs. L’histoire du bouillon était tombée dans l’oubli comme un discours de M. Keller. Déjà Meiser, dans la salle des bagages, avait saisi par la poignée une malle de veau noir, lorsqu’il vit à l’extrémité opposée le spectre de Fougas qui tirait en sens inverse et semblait résolu à lui disputer son bien. Il se roidit, tira plus fort et plongea même sa main gauche dans la poche où dormait le revolver. Mais le regard lumineux du colonel le fascina, ses jambes ployèrent, il tomba, et crut voir que Fougas et la malle de veau noir tombaient aussi l’un sur l’autre. Lorsqu’il revint à lui, son vieux domestique lui tapait dans les mains, la malle était posée sur les crochets, et le colonel avait disparu. Le domestique jura qu’il n’avait vu personne et qu’il avait reçu la malle lui-même des propres mains du facteur.