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digestion difficile : il en avait pour cent dix francs et quelques centimes. « Diable ! dit-il, la vie est devenue chère à Paris. » L’eau-de-vie entrait dans ce total pour une somme de neuf francs. On lui avait servi une bouteille et un verre comme un dé à coudre ; ce joujou avait amusé Fougas : il trouva plaisant de le remplir et de le vider douze fois. Mais en sortant de table il n’était pas ivre : une aimable gaieté, rien de plus. La fantaisie lui vint de regagner quelques pièces de cent sous au no 113. Un marchand de bouteilles établi dans la maison lui apprit que la France ne jouait plus depuis une trentaine d’années. Il poussa jusqu’au Théâtre-Français pour voir si les comédiens de l’Empereur ne donnaient pas quelque belle tragédie, mais l’affiche lui déplut. Des comédies modernes jouées par des acteurs nouveaux ! Ni Talma, ni Fleury, ni Thénard, ni les Baptiste, ni Mlle Mars, ni Mlle Raucourt ! Il s’en fut à l’Opéra, où l’on donnait Charles VI. La musique l’étonna d’abord ; il n’était pas accoutumé à entendre tant de bruit hors des champs de bataille. Bientôt cependant ses oreilles s’endurcirent au fracas des instruments ; la fatigue du jour, le plaisir d’être bien assis, le travail de la digestion, le plongèrent dans un demi-sommeil. Il se réveilla en sursaut à ce fameux chant patriotique :

Guerre aux tyrans ! jamais, jamais en France,
Jamais l’Anglais ne régnera !