Clémentine ne lui répondit rien, mais au moment de monter en wagon, il fut accosté par un commissionnaire qui lui remit un joli portefeuille de cuir rouge et s’enfuit à toutes jambes. Ce carnet tout neuf, solide et bien fermé, renfermait douze cents francs en billets de banque, toutes les économies de la jeune fille. Fougas n’eut pas le temps de délibérer sur ce point délicat. On le poussa dans une voiture, la machine siffla et le train partit.
Le colonel commença par repasser dans sa mémoire les divers événements qui s’étaient succédé dans sa vie en moins d’une semaine. Son arrestation dans les glaces de la Vistule, sa condamnation à mort, sa captivité dans la forteresse de Liebenfeld, son réveil à Fontainebleau, l’invasion de 1814, le retour de l’île d’Elbe, les cent jours, la mort de l’Empereur et du roi de Rome, la restauration bonapartiste de 1852, la rencontre d’une jeune fille en tout semblable à Clémentine Pichon, le drapeau du 23e, le duel avec un colonel de cuirassiers, tout cela, pour Fougas, n’avait pas pris plus de quatre jours ! La nuit du 11 novembre 1813 au 17 août 1859, lui paraissait même un peu moins longue que les autres ; c’était la seule fois qu’il eût dormi tout d’un somme et sans rêver.
Un esprit moins actif, un cœur moins chaud se fût peut-être laissé tomber dans une sorte de mélancolie. Car enfin, celui qui a dormi quarante-six