— Pourquoi m’a-t-on ôté mon uniforme ? Je devine ! Je suis prisonnier !
— Vous êtes libre.
— Libre ! Vive l’empereur ! Mais alors, pas un moment à perdre ! Combien de lieues d’ici à Dantzig ?
— C’est très-loin.
— Comment appelez-vous cette bicoque ?
— Fontainebleau.
— Fontainebleau ! En France ?
— Seine-et-Marne. Nous allions vous présenter le sous-préfet lorsque vous l’ayez jeté dans la rue.
— Je me fiche pas mal de tous les sous-préfets ! J’ai une mission de l’empereur pour le général Rapp, et il faut que je parte aujourd’hui même pour Dantzig. Dieu sait si j’arriverai à temps !
— Mon pauvre colonel, vous arriveriez trop tard. Dantzig est rendu.
— C’est impossible ? Depuis quand ?
— Depuis tantôt quarante-six ans.
— Tonnerre ! Je n’entends pas qu’on se… moque de moi ! »
M. Nibor lui mit en main un calendrier, et lui dit : « Voyez vous-même ! Nous sommes au 17 août 1859 ; vous vous êtes endormi dans la tour de Liebenfeld le 11 novembre 1813 ; il y a donc quarante-six ans moins trois mois que le monde marche sans vous.