être même avait-elle soupçon du mal qui minait sa mère. Elle couchait à côté de la duchesse, et dans ses longues nuits d’insomnie elle s’effrayait quelquefois du sommeil haletant de sa chère garde-malade. « Quand je serai morte, pensait-elle, maman me suivra de près. Nous ne nous quitterons pas pour longtemps. Mais que deviendra mon père ? »
Tous les soucis, toutes les privations, toutes les douleurs physiques et morales habitaient ce petit coin de l’hôtel Sanglié ; et dans Paris où la misère abonde, il n’y avait peut-être pas une famille plus complètement misérable que celle de La Tour d’Embleuse, qui possédait pour dernière ressource un anneau de mariage.
La duchesse courut d’abord à la succursale du mont-de-piété qui est située dans la rue Bonaparte, auprès de l’École des Beaux-Arts. Elle trouva la maison fermée : n’était-ce pas jour de fête ? L’idée lui vint que le commissionnaire de la rue de Condé aurait peut-être ouvert sa boutique. Elle remonta le faubourg jusqu’à la rue de Condé : porte close. Alors elle ne sut plus où s’adresser, car les établissements de ce genre ne sont pas communs au faubourg Saint-Germain. Cependant, comme il ne fallait pas que le duc commençât l’année par le jeûne, elle entra chez un petit bijoutier du carrefour de l’Odéon, et elle vendit sa bague pour onze francs.