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LES ÉMOTIONS

mort, et je garde un médaillon de Rouget de l’Isle, où il écrivit mon nom de la main gauche lorsqu’il était déjà paralysé du côté droit.

Il est vrai que je n’ai sacrifié ni mon temps ni ma santé sur les autels de la Bohème. Est-ce un crime ? La rive droite dit non, la rive gauche dit oui. Pauvres enfants du quartier latin ! les brillants capitaines de la Bohème ne sont plus, et vous obéissez au commandement des goujats de l’armée. Murger, que j’aimais comme un frère et qui me le rendait bien, m’a dit encore l’an passé : « La Bohème n’est pas une institution ; c’est une maladie, et j’en meurs ! »

Mais, pardon ; c’est de Gaëtana qu’il s’agit pour le moment. Les artistes de l’Odéon l’ont répétée six ou sept semaines. Vous ne savez peut-être pas, ô travailleurs naïfs ! qu’il y a près d’un an de labeur assidu dans l’œuvre que vous abattez d’un coup de sifflet ! On ne vous a pas dit que la clef de votre chambre, appuyée contre vos lèvres, faisait tomber des murailles plus douloureusement bâties que les remparts de Jéricho !

Si du moins les auteurs étaient vos seules victimes ! Mais voici Mlle  Thuillier, une grande comédienne, une âme intrépide dans un corps fragile, une pauvre Pythie inspirée et souffrante qui transforme les tréteaux en trépieds ! Voilà Tisserant, l’honnête, le sincère, le courageux artiste, un des précepteurs de votre jeunesse, s’il vous plait, car les belles vérités qui sont tombées dans vos oreilles depuis dix ans et plus avaient toutes passé par sa bouche ! Et Ribes, si jeune et si fier ! Et Thiron, qui est des