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CAUSERIES.

douzaine de chefs-d’œuvre, et des horreurs par centaines. Sa place restera marquée à la gauche de M. Ingres. Il est le mauvais larron de ce Dieu toujours jeune : Hippolyte Flandrin, moins original et moins grand homme, est le bon.

Un jeune graveur dont le nom commence à percer, M. Bracquemont, m’apporte un jour une eau-forte qu’il avait faite d’après un tableau de Delacroix. Il avait rendu très-exactement le travail du maître, avec ses qualités et ses défauts. Je fis parvenir une épreuve à Delacroix, pour savoir ce qu’il en pensait. Il mêla renvoya le lendemain, avec une lettre assez dédaigneuse. « Je ne veux pas, disait-il, qu’on me copie servilement, à la mode des pensionnaires de Rome ; il faut que la gravure achève ma pensée et complète ce que j’ai simplement indiqué. » Cette étrange révélation me rallia pour un temps à l’opinion de Théophile Gautier, qui m’avait dit d’un ton demi-sérieux, demi-plaisant : « J’imagine que Delacroix est aussi bourgeois que beaucoup d’autres, et qu’il rêve le dessin précis et les contours exacts de Girodet Trioson. Mais il est trop nerveux, sa main tremble, et il érige en système et en parti-pris d’école une infirmité naturelle. »

L’exposition posthume de ses études a prouvé que nous étions dans l’erreur. Personne ne peut plus nier aujourd’hui que Delacroix n’ait su enfermer une figure dans ces linéaments irréprochables qui font la