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sont en général assez vastes pour être presque inépuisables : aussi n’avons-nous pas la prétention d’en épuiser aucun. Notre art consiste à les toucher l’un après l’autre avec la précision dont nous sommes capables, chaque fois qu’ils sont remis à l’ordre du jour. Celui qui veut approfondir une question de telle sorte que personne n’ait un mot à dire après lui, doit se renfermer dans un livre. Sous cette forme, il s’introduit chez-vous, s’installe à votre chevet, vous expose son affaire à loisir et ne vous quitte pas qu’il ne vous ait convaincu. Le journaliste agit d’une tout autre sorte. Il guette son public au coin des rues, il se tient, les mains pleines, à l’angle des boulevards, il épie le visage ondoyant et multiple de la foule et cherche à deviner la nature et la dose des vérités qu’elle consommera volontiers aujourd’hui. Examen fait, nous enfournons dans l’œsophage public un aliment prêt, à demi élaboré pour qu’il soit de concoction plus facile, et nous varions incessamment ce bol intellectuel, car c’est la variété des mets qui maintient l’homme en appétit.

Un bon bourgeois, dans sa maison provinciale ou dans son appartement de Paris, ignore cette difficulté, qui est la principale du journalisme. Il ne soupçonne pas la loi de notre profession telle qu’elle est formulée dans un vers de la Fontaine :

Rien ne sert de courir, il faut partir à point.