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hommes lettrés, des gens d’esprit, et certainement une demi-douzaine de poëtes !

— Il y a mieux encore, répondis-je, c’est-à-dire des gens de bien et des gens de cœur. Je pose en fait que n’importe quel membre de la Société, s’il rencontrait au coin de la borne une ouvrière sans ouvrage et sans pain, s’empresserait de partager son pain avec elle et de lui chercher de l’ouvrage.

— J’en suis persuadé ; mais comment vos Français, si bons, si généreux, si dévoués quand on les prend à part, deviennent-ils méchants dès qu’ils se réunissent ? Pourquoi cinq mille ouvriers se coalisent-ils contre cinq cents malheureuses femmes, lorsque chacun d’eux personnellement se mettrait au feu pour chacune d’elles ?

— Pourquoi ? pourquoi ? vous le savez bien ! c’est la même raison qui fait écraser les enfants et les faibles un jour de foule. On est nombreux, on craint d’être étouffé, chacun pense à soi, on écarte les coudes, on pousse un peu, et les poussées s’ajoutant l’une à l’autre finissent par produire un ébranlement monstrueux, aveugle, fatal, qui brise tout sur son passage. À qui s’en prendra-t-on ? qui est-ce qui a donné l’impulsion première ? Personne n’en sait rien, pas même celui-là. Il regagne peut-être son logis en se disant « Je l’ai échappé belle. » Voilà comment les hommes font ensemble un mal